Le “vibe coding” : la mort du développement traditionnel ?
Tout le monde en parle, mais qu'est-ce que le "vibe coding" ? Doit-on s'en enthousiasmer ou s'en inquiéter ? On fait le point.
Cela fait maintenant 7 mois que je ne vous ai pas partagé de nouvelles concernant l’Intelligence Artificielle. Certes, j’ai été très pris par mes activités, mais c’est aussi et surtout parce que j’étais devenu un peu las de vous promettre à chaque post une révolution qui, finalement, tarde à arriver !
Alors, oui, il s’en est passé des choses depuis l’été dernier, mais je ne voulais pas simplement me contenter de vous rapporter bêtement chaque petite amélioration qui sort. Aujourd’hui pourtant, je n’ai pu me retenir de reprendre la plume car je ressens pour la première fois depuis des mois une vraie effervescence sur un nouveau concept intéressant : le “vibe coding”. Tout le monde en parle, alors il fallait donc que je vous le partage, ne serait-ce que pour tenir ma promesse de vous informer des tendances avant tout le monde !
Vous êtes prêts ? Servez-vous un bon café, installez-vous confortablement, et préparez-vous pour une nouvelle dose intense d’innovation dans ce nouveau post de la Veille IA !
Le “vibe coding” : la mort du développement traditionnel ?
Ces derniers jours, je n’ai eu cesse de voir apparaître un nouveau terme sur mes réseaux sociaux. Des développeurs qui s’inquiètent pour leur avenir à cause du “vibe coding”, d’autres qui deviennent riches grâce au “vibe coding”. Et j’ai même des amis très proches, qui, sans le savoir, sont d’ores et déjà de grands adeptes du “vibe coding”.
Alors “vibe coding”, quésaco ? On va en parler, mais d’abord, le “coding” tout court, qu’est-ce que ça veut dire ?
Déjà, c’est quoi le “coding” tout court ?
Le “coding”, en français, ça veut tout simplement dire coder, écrire des lignes de code, “programmer”, quoi ! Remontons donc encore plus loin si vous le voulez bien : c’est quoi la “programmation” ? C’est parti pour une petite dose d’Histoire et de culture générale.
En 1801, Joseph Marie Jacquart inventait le métier à tisser programmable. Celui-ci était basé sur l’utilisation de cartes perforées, qui indiquaient quel motif à réaliser. Cette invention est l’un des premiers exemples de “programmation” et laisse toujours sa trace dans la programmation informatique moderne : je vous explique.
À la fin du XIXème siècle, on passe de la mécanique, trop lente et astreignante, à l'électromécanique. Pour répondre à un concours organisé par le gouvernement américain, Herman Hollerith reprend le concept des cartes perforées pour créer une machine permettant d’accélérer le recensement de la population. Par la suite, il quitte l’administration et fonde une entreprise qui deviendra plus tard IBM. Les machines à cartes perforées feront la fortune de l’entreprise, devenant un standard à travers le monde. Elles équipent les tous premiers ordinateurs et sont mêmes utilisées pendant la Seconde Guerre Mondiale pour déchiffrer les messages cryptés par les machines Enigma des nazis. Dans les années 60 et 70, les cartes perforées sont progressivement remplacées par les ordinateurs qui deviennent de plus en plus performants. Certains langages de programmation informatique utilisés à l’époque, comme le COBOL, sont prévus pour être compatibles avec les cartes perforées, et sont d’ailleurs toujours utilisés aujourd’hui, notamment dans les secteurs de la banque, des assurances et de l’administration.
Depuis, il n’y a pas vraiment eu de révolution : les développeurs informatiques n’inscrivent plus leurs instructions sur des cartes perforées, mais dans des fichiers informatiques en utilisant tel ou tel langage de programmation. Ces instructions sont interprétées par différents programmes à différents niveaux de l’architecture logicielle de l’ordinateur, pour être ultimement converties en séquences binaires (les fameuses suites de 0 et de 1) représentant les positions “ouvertes” ou “fermées” de minuscules interrupteurs électroniques présents dans les composants de l’ordinateur (les transistors).
Évidemment, quand j’écris du code avec mon langage préféré, PHP, je suis bien loin des 0 et 1. Prenons par exemple le programme simple suivant en PHP :
Lorsqu’il va être interprété par le logiciel PHP sur mon ordinateur, ce code va :
D’abord être traduit dans un langage intermédiaire appelé OpCodes par un logiciel, le compilateur PHP
Un autre logiciel, la machine virtuelle PHP appelée Zend Engine va traduire ce code en un autre langage de programmation, le C.
Un autre logiciel, le compilateur C, va transformer le code C en un autre langage, le langage Assembleur
Le logiciel Assembleur transforme les instructions en langage Assembleur en instructions hexadécimales
Ces instructions hexadécimales sont une représentation plus compacte du code binaire, qui lui est directement lu par le CPU, le processeur de la machine
Mon code informatique a donc en quelque sorte parcouru un trajet à plusieurs niveaux de l’infrastructure de mon ordinateur. Les langages tels que PHP (langage interprété) ou C (langage compilé) sont des langages de haut niveau, alors qu’Assembleur est un langage intermédiaire, et l'hexadécimal ou le binaire sont des langages de bas niveau.
Tout est question d’abstraction
Haut niveau, bas niveau, niveau intermédiaire, chacun de ces niveaux est appelé un niveau d’abstraction. Et si j’en suis à vous expliquer tout cela, c’est justement pour vous faire comprendre cette notion d’abstraction. Chaque niveau d’abstraction permet de développer plus facilement : si je n’ai pas à coder directement en binaire (l’enfer !), c’est parce que des milliers de développeurs avant moi ont créé les logiciels permettant d’établir ces niveaux d’abstraction, et donc de me simplifier la vie. Imaginez écrire une application mobile comme Uber Eats directement en binaire : plusieurs vies ne suffiraient pas !
Avec le temps, de nouveaux niveaux d’abstraction sont apparus. Par exemple, en PHP ou d’autres langages, les frameworks permettent de simplifier encore le développement en permettant de réutiliser des morceaux de codes préexistants : donc encore moins de code à écrire !
Quand j’ai commencé à programmer, il y a plus de 15 ans, c’était aussi l’essor des éditeurs WYSIWYG (What You See Is What You Get) qui permettaient par exemple de créer des sites web simples à travers une interface graphique : il suffit de créer et de déplacer des blocs à l’écran et de taper son texte à l’intérieur.
Dans les années 2010, j’ai aussi connu l’évolution de cette tendance vers tout ce que l’on appelle aujourd’hui le No Code, c’est à dire l’ensemble des logiciels qui permettent de créer des applications sans avoir à écrire de code informatique, mais plutôt en utilisant des interfaces graphiques (en gros, en cliquant sur des boutons). Toute cette mouvance a permis de démocratiser fortement la capacité à créer des applications, des logiciels, des sites web etc.
Cela fait maintenant de nombreuses années que cette compétence n’est plus réservée qu’à ceux capables de “programmer”, c'est-à-dire d’écrire du code informatique. Et chaque année, les capacités des outils No Code sont décuplées. C’est un sujet tellement passionnant que j’en ai écrit une page Wikipédia, que je vous invite à consulter si vous souhaitez l’approfondir (ici).
Et l’IA dans tout ça ?
Vous le savez déjà si vous vous souvenez de mes précédents posts : les récentes évolutions impressionnantes en matière d’Intelligence Artificielle ces dernières années ont eu de fortes répercussions dans le monde du développement informatique. Les LLMs, les modèles de langage, sont de plus en plus aptes à écrire du code informatique de qualité, et ce dans n’importe quel langage de programmation. Si vous ne savez pas ce qu’est un LLM, n’hésitez pas à consulter mon article explicatif sur l’IA générative.
Je ne connais pas un seul développeur aujourd’hui qui n’utilise pas l’Intelligence Artificielle dans le cadre de son travail au quotidien. C’était loin d’être vrai il y a encore un an et demi. Les applications sont nombreuses : vous pouvez par exemple demander à ChatGPT de réparer un bug dans votre code, de l’optimiser ou même de générer entièrement du code à partir d’un simple prompt. Personnellement, j’utilise Claude quotidiennement pour générer du code. Plus précisément, j’ai eu 161 conversations uniques avec Claude ces trois derniers mois, sachant qu’une même conversation peut contenir des centaines de messages et durer plusieurs semaines.
Il existe également des éditeurs de code (le logiciel dans lequel on écrit son code informatique) entièrement pensés autour de l’IA tels que Cursor. En moins d’un an, ce logiciel a généré plus de 100 millions de dollars de revenus, et serait valorisé autour de 10 milliards de dollars, à en croire les dernières nouvelles sorties il y a à peine 2 jours. C’est l’une des nombreuses preuves du véritable engouement des développeurs pour les possibilités qu’offrent l’IA.
Personnellement, j’utilise encore le même éditeur depuis près de 10 ans (Visual Studio Code), mais j’y ai installé une extension (Supermaven), qui me permet d’obtenir une autocomplétion instantanée de la part du LLM de mon choix (évidemment, j’ai choisi Claude). En gros : dès que je commence à taper du code, Claude l’analyse et me propose une suggestion pour la suite du code. Et très souvent, c’est exactement ce que je comptais écrire à la main ! Mais j’utilise également d’autres outils selon les besoins, comme Copilot pour optimiser mon code ou Tactiq pour résumer mes réunions. Chaque mois, j’estime que ces outils me font gagner des dizaines d’heures de travail souvent rébarbatif.
Les développeurs n’utilisent pas seulement ces outils pour coder, ils les intègrent également dans les produits qu’ils créent. Dans ma startup OpenVC, cela fait déjà près d’un an que l’on a intégré GPT-4 pour aider les startups à contacter des investisseurs. Dans quelques semaines, nous allons aussi publier une fonctionnalité qui intègre le modèle Gemini de Google pour analyser des documents, ce qui nous permettra d’économiser 2000 dollars par mois !
En bref, l’IA est un gain considérable de productivité et de temps tout en étant une source tangible d’économies et de création de valeur pour les développeurs et leurs employeurs, mais toutes ces avancées ont aussi une autre conséquence : elles ont amené un nouveau niveau d’abstraction, et celui là était encore jamais vu. Même plus besoin d’apprendre à se servir de l’interface complexe d’un outil No Code pour créer une application : il suffit de demander à l’IA, avec de simples mots. Le quidam moyen, qui n’a aucune connaissance en programmation, qui est même moins bien renseigné que vous (parce que vous lisez cette newsletter), peut en quelques heures créer un logiciel informatique, grâce à du code généré de toutes pièces par son LLM favori. C’est cela que l’on appelle donc le “vibe coding”.
Sentez-vous les bonnes vibes ?
Difficile de donner une traduction littérale en français pour le “vibe coding”... On pourrait dire que c’est un peu comme coder en suivant sa “vibe”, c'est-à-dire en suivant son instinct, en quelque sorte. Cela illustre vraiment l’idée du curieux qui n’y connait rien en programmation mais qui va tenter de se lancer dans la création d’un programme informatique (application mobile, site web, jeu vidéo etc) en demandant simplement à un LLM de le faire à sa place… et qui va se rendre compte que ça marche !
Mon fil Twitter est littéralement inondé d’utilisateurs qui ont “vibe-codé en quelques heures” un clone de telle ou telle application connue. Mes amis qui travaillent en agence de référencement commencent même à se désabonner de certains outils car ils peuvent les répliquer en utilisant des éditeurs de code IA comme Cursor, Bolt ou Windsurf. Sans le savoir, ils sont des vibe-codeurs — ils ne connaissent même pas le terme (ils ne sont pas aussi en avance que vous, chers lecteurs).
Un autre bon exemple est celui de Pieter Levels, sorte d’influenceur célèbre pour avoir développé, seul, de nombreux sites web à succès et ultra-rentables. Bien qu’il soit développeur web, il n’avait jamais développé de jeu vidéo, et c’est exactement ce qu’il a décidé de faire fin février. Après quelques heures de vibe coding, il avait déjà une première version, certes basique, d’un jeu multijoueur d’avions de combat. En 13 jours, le jeu avait généré un montant incroyable de 67 000 dollars (dont 10 000 dollars le 12ème jour). Il y a quelques heures, Pieter a annoncé que le jeu a battu son propre record en accueillant 22,000 joueurs en une seule journée.
Nombreux sont donc ceux qui voient en cette histoire une petite révolution : on pourrait devenir riche rapidement en “vibe codant” un produit à succès. Ils oublient cependant que Pieter est un influenceur, suivi par plus de 600 000 personnes sur Twitter ; qu’il maîtrise le marketing et a généré des millions avec ses produits viraux ; qu’il est un développeur compétent, capable de comprendre, modifier, déployer et maintenir le code généré par l’IA ; qu’il travaille certes seul, mais qu’il a un expert serveur qui gère toute son infrastructure ; autant de détails qui font que le vibe coding ne serait finalement peut-être pas un eldorado facile accessible à n’importe quel bougre.
Le jeu vidéo “vibe-codé” par Pieter Levels
Si vous avez déjà utilisé un LLM comme GPT à travers ChatGPT par exemple, vous avez peut-être remarqué que les LLMs ont également tendance à halluciner, c'est-à-dire à générer des résultats manifestement erronés sans explication. Cela arrive également, très régulièrement, dans le cadre de la génération de code informatique. Là où un développeur qui peut comprendre le code est capable d’identifier l’erreur et la corriger lui-même, ou d’expliquer à son LLM comment la corriger, un profane passera des heures à résoudre le même bug car il n’a pas les connaissances nécessaires. Il n’aura pas non plus les compétences pour déployer l’application, par exemple sur un serveur, ou pour effectuer la maintenance, pour permettre à d’autres utilisateurs d’utiliser son application “vibe-codée”.
Sans parler des risques liés à la sécurité informatique : seul quelqu’un avec une connaissance approfondie de l’architecture logicielle dans laquelle évolue une application peut correctement la prémunir contre les risques liés à la cybersécurité. Dans les entreprises, pour une seule et même application, il y a souvent plusieurs développeurs, des experts en sécurité, en architecture, en déploiement, tous avec leur domaine de compétences, et un “vibe codeur” ne pourrait remplacer toutes ces expertises en utilisant simplement un LLM… pour l’instant.
Quel avenir pour le vibe coding ?
Grâce à ma startup OpenVC, je suis bien au courant des tendances actuelles concernant les investissements de capital-risque, c’est-à-dire les investissements qui financent les entreprises qui créent les grandes innovations, de celles qui deviennent de vraies révolutions qui impactent les masses (pour le meilleur et pour le pire), comme celles apportées par Apple, Uber, Airbnb etc.
En 2021, les startups à haut potentiel levaient généralement des fonds assez facilement, avec des valorisations élevées. On sortait de la crise du Covid, qui avait boosté tous les produits liés au digital, les investisseurs avaient de l’argent à investir et n’y allaient pas de main morte. 1 an après, en voyant que toutes les startups financées à outrance n’arrivaient en fait pas à survivre, les investisseurs ont réalisé qu’ils avaient jeté pas mal d’argent par la fenêtre. Ils ont commencé à être plus prudents. Tout à coup, il est devenu plus dur de lever des fonds et les investisseurs ont décidé de réduire les risques en cherchant davantage à investir dans des entreprises ayant une traction et une croissance réelles, qui ont peu d’employés et de charges, et qui sont donc rentables. Presque une hérésie pour les capital-risqueurs de 2021 qui donnaient littéralement des dizaines de millions de dollars à des startups qui n’avaient pas de client ni même de produit à vendre !
Heureusement, c’est au même moment que l’Intelligence Artificielle connaît une véritable explosion, grandement provoquée par la mise à disposition de ChatGPT auprès du grand public et qui devient l’application avec la plus forte croissance de tous les temps ( 100+ millions d’utilisateurs en 2 mois).
En conséquence, les investisseurs ont fini par retirer les oursins de leurs poches pour investir en masse dans l’IA, à un point tel où la moitié des investissements en capital-risque dans le monde dans le dernier trimestre 2024 étaient consacrés à l’IA. Sur l’année 2024 complète, ce sont pas moins de 110 milliards de dollars investis en IA dans le monde (dont 8 en Europe), soit 62% de plus qu’en 2023. La levée de l’année ? Celle de Databricks : 10 milliards de dollars, rien que ça !

Tout porte à croire que la tendance va continuer d’accélérer et que l’ensemble des consommateurs à travers le monde vont pouvoir bientôt tirer bénéfice de tous ces investissements à travers de nouvelles innovations révolutionnaires. Combien d’entre elles seront apportées par des vibe codeurs ? Difficile à dire…
En attendant, l’enthousiasme de certains se confronte aux inquiétudes des autres. Dans ma startup, nous avons récemment exposé notre plan concernant l’Intelligence Artificielle à nos actionnaires : comment nous en tirerons de la valeur, mais également comment nous comptons réagir si n’importe qui peut demain répliquer notre produit en quelques heures grâce au vibe coding. Et je peux vous garantir que nous sommes loin d’être les seuls éditeurs de logiciels à se poser la question. Nombreux observateurs du milieu s’interrogent : qu’adviendra-t-il du marché des logiciels si tout le monde peut se créer le sien adapté à ses besoins ?
Par ailleurs, je n’ai pas peur de l’assumer : si nous allons économiser 2000$ par mois grâce à l’utilisation de Gemini, c’est parce que Gemini va remplacer une employée à temps partiel (1500$/mois) qui faisait jusqu’alors ce travail à la main et dont nous allons nous séparer, et que Gemini va aussi remplacer un outil tiers fourni par un sous-traitant (500$/mois). Je pense que cet exemple personnel traduit bien les problématiques évidentes auxquelles les éditeurs de logiciels (et leurs employés) sont d’ores et déjà confrontés.
Rassurez-vous, il n’y en a pas que pour l’IA ! Si le domaine va sûrement dominer le top des secteurs “bankables” pour les investisseurs en ce premier trimestre 2025, il y a des chances qu’il soit rattrapé par un autre secteur en vogue en ce moment : la défense. Une chose est sûre : 2025 verra son lot d'innovations !
Pour finir sur une note plus joyeuse, voici une publicité réalisée par Rufus Blackwell pour la marque Original Source, en partie avec des outils de génération IA (seules la scène de début et de fin ont été tournées en vrai). Bluffant, non ?
Merci pour votre lecture et gardez l’oeil ouvert : je reviendrai vers vous prochainement pour vous partager un autre concept dont tout le monde parle - les MCP. Je sais que je vous ai dit ça en introduction du présent post concernant le vibe coding mais je n’y suis pour rien : ce sont les deux sujets dont littéralement tout le monde parle et ce n’est pas une figure de style !







