AI Wearables : l’IA à porter sur nous au quotidien
Rabbit R1, Humane AI Pin, Rewind Pendant : que valent ces nouveaux accessoires boostés à l'intelligence artificielle ?
Embarquer l’intelligence artificielle sur soi pour tirer profit de ses avantages dans nos tâches quotidiennes, c’est la promesse des AI Wearables. Annoncés en grande pompe il y a quelques mois, les premiers produits de ce nouveau marché sont enfin arrivés dans les mains du public. Alors : révolution en marche ou flop décevant ? On en parle dans la Veille IA de la semaine.
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Un nouveau terme pour un nouveau marché
Avant de vous présenter cette nouvelle tendance, il faut d’abord s’attarder quelque temps sur la terminologie de celle-ci. Il est important de garder à l’esprit qu’on parle là d’un concept marketing vraiment nouveau, donc la terminologie utilisée par les entreprises, les journalistes et les observateurs du milieu est toujours en train d’évoluer actuellement. Cette nouveauté, on peut l’appeler Wearable AI pour parler du concept global (littéralement “l’IA à porter”) ou les AI Wearables (littéralement “les IA portables”) pour parler de l’objet en lui-même, un peu comme on parle de “téléphonie” et de “téléphones”.
La Wearable AI, c’est donc une nouvelle tendance qui vient seulement d’émerger depuis quelques mois et qui vise à développer des accessoires portables embarquant des technologies d’intelligence artificielle. Ces accessoires portables, ce sont les AI Wearables, et ils utilisent donc la puissance de l’intelligence artificielle pour nous assister dans nos tâches quotidiennes.
L’IA est déjà embarquée dans nos smartphones, que ce soit par exemple via Siri sur iOS, via Google Assistant sur Android, ou à travers toute une myriade d’applications tierces disponibles comme ChatGPT, Copilot (Microsoft), ou Gemini (Google). La différence des AI Wearables, c’est qu’ils ne sont pas liés à un smartphone. Ce sont des appareils à part entière qui fonctionnent avec leur propre système d’exploitation, qui ont leur propre connexion à internet, leur propre puce GPS, leur propre carte SIM etc.
Sur un smartphone, il y a un écran tactile, avec des apps à télécharger, qui ont chacune leur propre interface, et des icônes et un clavier sur lequel il faut appuyer pour interagir avec l’appareil et réaliser des tâches. Des icônes ? Un clavier ? Beurk ! Aujourd’hui, grâce à l’IA, on pourrait arriver à tout faire sans aucune interface, sans avoir à se concentrer sur un écran, sans utiliser ses doigts et en dirigeant la machine à la voix, non ? C’est en tout cas ce que nous promet la Wearable AI.
Trois AI Wearables à découvrir
Le 10 janvier 2024, le petit monde de l’IA est en ébullition. Une vidéo tourne en masse sur les réseaux sociaux et les commentaires vont bon train, qu’ils soient enthousiastes ou sceptiques. Cette vidéo, c’est l’annonce du Rabbit R1 (voir ci-dessous).
On est sur une grande scène, l’éclairage est tamisé. Le logo Rabbit est affiché sur fond noir sur un écran géant. Au premier plan, un présentateur habillé aussi en noir, nous adresse la parole. Tout est fait pour nous rappeler la keynote légendaire de 2007 pendant laquelle Steve Jobs annonce un produit qui va vraiment changer le monde : l’iPhone.
Comme pour la présentation de l’iPhone, ici c’est le patron qui parle et qui fait la démonstration. Il s’agit de Jesse Lyu, un chinois de 34 ans passionné par la musique et la programmation. Diplômé en mathématiques financières de l’Université de Liverpool, passé par le plus prestigieux incubateur de startup au monde (YC Combinator dans la Silicon Valley), il fonde sa première société et lève des millions pour développer des technologies liées à l’IA et au metavers. Son entreprise est rachetée par le géant Baidu (l’équivalent de Google en Chine). Dès lors, il l’annonce : lui aussi veut changer le monde. Financé par des investisseurs chinois, il crée rabbit, Inc. en 2020 et développe le Rabbit R1, un AI Wearable révolutionnaire qui va remplacer les smartphones. Après 4 ans de travail, c’est le moment de présenter le produit.
À l’époque de la sortie de cette vidéo de présentation, j’étais très enthousiaste. J’avais même réalisé un post détaillé sur toutes les fonctionnalités présentées lors de la conférence. Pour une description complète du Rabbit R1 et de toutes ses fonctionnalités, je vous invite à lire ce post.
Le Rabbit R1 est un petit appareil qui tient dans la main. Il dispose d’un écran, d’une caméra 360°, d’un micro et d’un petit haut-parleur. Pour l’utiliser, il faut lui parler, en appuyant sur un bouton push to talk (à la manière d’un talkie walkie). Grâce à sa propre carte SIM, il dispose d’une connexion 4G, mais est aussi connectable en Wifi et Bluetooth. Le design, épuré et tendance, est conçu par Teenage Engineering, des experts des beaux bijoux de technologie dédiés à la musique.
Vous pouvez demander à votre Rabbit R1 à peu près n’importe quoi : quelle sera la météo demain, quel acteur a joué dans tel film, quel est le cours de telle action en bourse etc. Grâce à des intégrations avec d’autres services (Spotify, Uber Eats etc.), vous pouvez aller un peu plus loin comme demander de jouer un morceau, de commander un plat livré à domicile ou d’envoyer un email. Rien de révolutionnaire pour l’instant par rapport aux assistants virtuels disponibles dans les smartphones, disaient, à raison, les sceptiques.
Ce qui m’a vraiment plu à l’époque de l’annonce du produit, c’est un autre aspect de la présentation. Jesse Lyu nous expliquait avoir travaillé sur un tout nouveau concept, les LAM pour Large Action Model. Sur le modèle des LLM (Large Language Model) comme GPT ou Gemini qui permettant à un algorithme de “comprendre” des instructions données en langage naturel humain, le LAM de Jesse est sensé comprendre des actions réalisées naturellement par un humain, pour ensuite les répliquer.
Voici un exemple simple : imaginez que vous réalisez tous les matins la même tâche au travail. Vous recevez plusieurs emails avec des statistiques, et vous les entrez tous dans un fichier Excel pour générer un rapport avec des graphiques, puis vous envoyez ce rapport à toute votre équipe par email. Grâce au LAM intégré dans le Rabbit R1, vous pouvez maintenant filmer votre écran pendant que vous réalisez ces tâches pour “apprendre” votre process à votre Rabbit R1. Désormais, au lieu de perdre 1h à faire ces tâches tous les matins, vous pouvez demander vocalement à votre Rabbit R1 : “crée le rapport XYZ et envoie le à l’équipe” et votre Wearable AI s’en occupera en toute autonomie. Une promesse qui, si elle est tenue, représente une petite révolution en termes de capacités des assistants virtuels.
La vidéo de présentation du Rabbit R1 se termine par la révélation sur le prix : 199$.
Avant le Rabbit R1, il y avait aussi le AI Pin développé par l’entreprise Humane, dans laquelle un certain Sam Altman (patron d’OpenAI, créateurs de ChatGPT) a investi.
Sur le fond, le principe est le même (le LAM en moins) : c’est un assistant virtuel indépendant du téléphone qui dispose de sa propre caméra et de sa propre connexion à internet. On appuie dessus pour lui parler mais à la différence du Rabbit R1, il n’a pas d’écran mais plutôt un système de projection holographique. Plutôt cool et futuriste à priori, mais est-ce suffisant pour justifier un prix d’achat de 699$ à 799$ selon la couleur ? Ou faut-il savoir que Humane a levé plus de 230 millions de dollars pour créer ce produit afin de comprendre ce prix de vente si élevé ?
Et puis il y a aussi le Pendant par la société Rewind. Le cas de figure est un peu différent : Rewind est à l’origine un assistant virtuel plutôt axé “vie professionnelle”. Une fois installé, il se nourrit de tout ce que vous avez dit, vu ou entendu, et d’en tenir une sorte de base de données. Connaissant l’entièreté du contenu de vos emails, de vos réunions, de votre agenda, de vos conversations etc., vous pouvez alors lui poser n’importe quelle question pour vous aider dans votre travail. “Vos collègues se demanderont comment vous faites tout ça” nous promet le site internet. Le Pendant est donc le prolongement logique de leur promesse, étant un simple pendentif permettant d’écouter tout ce qui se passe autour de vous (lorsque vous l’activez), et qui le transmet au logiciel Rewind afin d’être transcrit et stocké. Disponible en pré-commande pour 99$, les livraisons devraient commencer à la fin de l’année 2024.
La révélation : une véritable révolution ou un flop magistral ?
Connaissez-vous Marquees Brownlee ? Avec ses presque 20 Millions d’abonnés sur YouTube, il s’agit d’un des influenceurs tech les plus suivis dans le monde. Sa spécialité : réaliser des tests vidéos sur des nouveaux produits technologiques tendances. En Février 2024, Marquees sort sur sa chaîne YouTube secondaire Auto Focus (dédiée aux tests de voitures) une nouvelle vidéo intitulée “Ceci est la pire voiture que j’ai jamais essayée”. Dans cette vidéo, il explique avoir essayé le nouveau modèle Ocean de la marque Fisker, un petit constructeur spécialisé dans les voitures électriques. Après plusieurs jours d’essai, sa conclusion est rude : la voiture est la pire qu’il ait jamais essayée. Avant de publier la vidéo, le constructeur le contacte pour ne pas qu’il la sorte, en vain. Après sa mise en ligne, c’est la douche froide : l’entreprise, déjà en mauvaise situation financière, vire 15% de ses employés et le cours de son action plonge.
Si je vous parle de cette anecdote, c’est parce que le 15 avril 2024, Marquees Brownlee a récidivé, sur sa chaîne principale à 18 millions d’abonnés cette fois. Le titre de la vidéo : “Le pire produit que j’ai testé… pour l’instant” et son objet : le AI Pin de Humane. La conclusion est là aussi brutale : le AI Pin est dur à porter, a une batterie insuffisante, fait beaucoup d’erreurs, l’affichage laser est inutilisable à l’extérieur… bref le AI Pin se révèle comme étant pratiquement inutile et son prix n’est absolument pas justifié pour ce qui est “le produit le plus idiot jamais conçu” d’après l’influenceur.
Après la publication, de nombreux observateurs se sont insurgés sur les réseaux sociaux, non pas contre Humane mais contre Marquees Brownlee. Pour certains, l’influence du vidéaste est telle qu’il est irresponsable de sa part de descendre à tel point un nouveau produit. Cumulant actuellement plus de 7 millions de vues, sa vidéo a certainement découragé plus d’un client potentiel de passer commande. Marquees n’est cependant pas le seul testeur tech a avoir été déçu : l’avis sur le produit est unanime parmi les testeurs et journalistes ayant eu le AI Pin en main. D’ailleurs, l’entreprise est, selon Bloomberg, déjà à la recherche d’un acquéreur pour un prix entre 750 millions et 1 milliard de dollars. Bon courage !
Quelques jours après cette vidéo, Marquees a aussi testé le Rabbit R1 dans une vidéo intitulée “Rabbit R1 : pratiquement intestable”. Ses conclusions sont similaires : le produit se trompe constamment, n’est pas pratique d’utilisation, et est somme toute infiniment moins utile qu’un smartphone. Mais le pire reste à suivre après les révélations d’un autre excellent YouTubeur que j’apprécie particulièrement, Coffeezilla. Selon lui, le Rabbit R1 est tout bonnement une arnaque : en regardant sous le capot, on réalise que l’assistant virtuel du Rabbit R1 n’est autre que le même modèle que ChatGPT. Le LAM, la fameuse innovation qui permettrait au Rabbit d’apprendre des tâches et de les répéter en autonomie, ne serait qu’une pure invention, du bullshit marketing totalement inexistant en réalité. Sans oublier que le patron Jesse Lyu aurait de sombres antécédents dans des histoires interlopes de cryptomonnaies. Je vous invite à retrouver la première partie de cette enquête vidéo ci-dessous (les non-anglophones peuvent activer les sous-titres automatiques) :
En conclusion : les AI Wearables sont pour le moment une bonne grosse déception. Ces accessoires sont une énième preuve que l’IA est toujours une technologie balbutiante à l’heure actuelle, qui manque d’applications pratiques dans notre quotidien.
Personnellement, je ne vois pas les AI Wearables remplacer le smartphone dans un futur proche. Les smartphones ont atteint un état de l’art proche de la perfection aujourd’hui, et c’est pourquoi il n’y a que très peu d’innovations en la matière depuis la sortie de l’iPhone, mais seulement des optimisations : les smartphones embarquent toujours plus de puissance grâce à des processeurs de plus en plus performants et miniatures. Leurs appareils photo sont de plus en plus qualitatifs, tout comme la vitesse de connexion avec notamment la 5G, sans oublier l’écosystème fleurissant côté logiciel et son infinité d’applications mobiles qui naissent chaque jour. Je prédis plutôt aujourd’hui que l’intelligence artificielle viendra optimiser encore plus la façon dont on utilise nos smartphones en réduisant toujours plus l’effort humain nécessaire pour réaliser des tâches.
Enfin, rappelons-nous qu’un certain Elon Musk travaille actuellement sur le sujet des interfaces humain-machine à travers son entreprise Neuralink. Récemment, Neuralink a implanté sa puce révolutionnaire Telepathy dans le cerveau d’un humain pour la première fois. Cela a permis à Noland Arbaugh, tétraplégique, de contrôler le curseur et le clavier de son ordinateur par la seule force de sa pensée. Une expérience réussie, puisque la greffe a fonctionné et a changé la vie du patient qui a déclaré : “une fois que vous avez pris goût à utiliser l’implant, c’est impossible de s’arrêter”. Malheureusement, il est apparu dans la presse tout récemment que sa puce a dysfonctionné en raison de la rétractation des fils électriques de la puce dans son cerveau, ce qui pourrait causer un endommagement du tissu cérébral. Il semblerait que le patient soit surtout inquiet de se voir retirer la puce et de ne plus pouvoir jouer à Mario Kart. Il doit recevoir prochainement une nouvelle version de la puce, qui devrait par ailleurs être implantée dans un deuxième patient dans un futur proche.
L’idée des AI Wearables pour interagir avec une IA avec la voix afin de lui faire réaliser des tâches, c’est donc sympa, mais le futur ne résiderait-il pas plutôt dans le contrôle direct depuis le cerveau ? L’avenir nous le dira…
Dans le prochain post, on parlera de l’ordinateur du futur boosté à l’IA annoncé par Microsoft… sauf si des nouvelles plus pressantes se présentent d’ici-là !